Alors que la période cruciale des recherches de stage bat son plein, de nombreux étudiants se heurtent à un mur de refus ou de silence. Notre enquête révèle les difficultés réelles du marché, les inégalités d’accès aux opportunités et les stratégies qui fonctionnent pour décrocher le précieux sésame. 

« J’ai envoyé plus de 70 candidatures en deux mois et je n’ai reçu que trois réponses, toutes négatives. » Assise dans la cafétéria de son université, Emma, 22 ans, consulte nerveusement ses emails. Comme des milliers d’étudiants français, elle doit absolument trouver un stage de fin d’études pour valider son Master 2. Le temps presse : sans convention signée d’ici fin avril, son diplôme sera compromis. 

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Une concurrence exacerbée par la crise 

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est intensifié ces dernières années. Selon la dernière enquête de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) publiée en 2023, 67% des étudiants et jeunes diplômés estiment que la recherche de stage est « difficile » ou « très difficile », contre 54% avant la pandémie. 

« Le marché s’est nettement tendu, » confirme David Attal, directeur de l’APEC. « Les entreprises, notamment les PME, proposent moins de stages qu’avant la crise sanitaire, alors que le nombre d’étudiants continue d’augmenter. » 

Cette réalité est particulièrement visible dans certains secteurs comme la culture, la communication ou le journalisme. Selon le Ministère de l’Enseignement Supérieur, ces filières affichent les taux de placement en stage les plus bas, avec moins de 65% d’étudiants qui trouvent un stage correspondant à leur formation. 

Les inégalités face au stage 

L’accès aux stages reste profondément inégalitaire. Une étude de l’Observatoire des inégalités publiée en 2022 révèle que les étudiants issus de familles aisées ont 2,5 fois plus de chances de décrocher un stage valorisant que ceux issus de milieux défavorisés. 

À cela s’ajoutent des discriminations bien réelles. Un testing réalisé par SOS Racisme en 2022 a démontré qu’à compétences égales, un candidat au nom à consonance maghrébine a 25% de chances en moins d’être convoqué à un entretien pour un stage. 

« Le réseau reste le premier facteur d’accès au stage, » explique Christine Erhel, directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail au CNAM. « Or, le capital social est très inégalement réparti selon les origines sociales et territoriales. » 

Des dispositifs publics qui se renforcent 

Pour lutter contre ces inégalités, plusieurs dispositifs publics ont été mis en place. La plateforme « 1jeune1solution« , lancée en 2020 et régulièrement enrichie depuis, centralise aujourd’hui plus de 50 000 offres de stage. Elle permet aux entreprises de bénéficier d’aides financières lorsqu’elles recrutent des jeunes issus de quartiers prioritaires. 

« Nous avons renforcé le module stage de la plateforme en 2023, » précise le ministère du Travail. « Plus de 15 000 conventions ont été signées grâce à ce dispositif l’an dernier. »

Autre initiative notable : le programme « Mon stage de 3e » a été étendu à l’enseignement supérieur dans plusieurs académies, permettant aux universités d’organiser des sessions de coaching et de mise en relation avec des entreprises partenaires. 

Les stratégies qui fonctionnent 

Face aux difficultés, certains étudiants développent des approches qui font leurs preuves. C’est le cas d’Alexandre, 24 ans, qui a décroché un stage dans une entreprise technologique après avoir participé à un hackathon organisé par celle-ci. « J’ai pu montrer mes compétences concrètement, plutôt que sur un CV, » explique-t-il. 

Les responsables de recrutement confirment cette tendance. « Nous recevons tellement de candidatures que nous privilégions désormais les étudiants que nous avons déjà rencontrés lors d’événements, » explique Sandrine Bellec, DRH d’un groupe de conseil. « Les salons virtuels, les challenges d’entreprise sont devenus des viviers de recrutement essentiels. » 

Selon JobTeaser, plateforme spécialisée dans l’emploi des jeunes, 42% des stages sont aujourd’hui obtenus après une première interaction lors d’un événement professionnel, contre 27% par candidature spontanée. 

La question de la rémunération 

Autre problématique majeure : celle de la rémunération. Malgré l’obligation légale de gratification pour les stages de plus de deux mois (fixée à 4,35€/heure depuis le 1er janvier 2024), certains secteurs contournent encore cette règle. 

Selon une enquête de l’UNEF publiée en janvier 2024, 22% des étudiants déclarent avoir effectué un stage de plus de deux mois non rémunéré. Un chiffre qui monte à 34% dans les secteurs de la culture et des médias. 

« La précarité étudiante s’est aggravée ces dernières années, » souligne Imane Ouelhadj, présidente de l’UNEF. « Certains étudiants sont contraints d’accepter des stages non conformes à la législation par peur de ne rien trouver. » 

Des pistes pour l’avenir 

Pour répondre à ces défis, plusieurs pistes sont explorées. La CPU (Conférence des Présidents d’Université) expérimente depuis 2023 des « stages fractionnés » permettant aux étudiants de partager leur temps entre plusieurs structures et de diversifier leur expérience. 

De son côté, le MEDEF a lancé en 2024 une charte « Entreprises inclusives » qui engage les signataires à réserver 30% de leurs offres de stage à des étudiants issus de filières universitaires non sélectives. 

« Il faut repenser le stage comme un véritable outil pédagogique et d’insertion, pas comme une variable d’ajustement pour les entreprises, » plaide Philippe Jamet, président de la commission formation du MEDEF. « C’est aussi notre responsabilité sociale. » 

En attendant que ces initiatives portent leurs fruits, pour des milliers d’étudiants, la quête du stage continue. Avec une certitude : au-delà de sa dimension formative, le stage est devenu un révélateur des inégalités qui traversent notre société. 

Les chiffres clés 

  • 67% des étudiants jugent la recherche de stage difficile (source : APEC 2023) 
  • 4,35€/heure : montant minimum légal de gratification pour les stages de plus de 2 mois 
  • 22% des étudiants déclarent avoir effectué un stage non rémunéré malgré l’obligation légale (source : UNEF 2024) 
  • 15 000 conventions de stage signées via la plateforme 1jeune1solution en 2023 
  • 42% des stages sont obtenus après une première rencontre lors d’un événement professionnel (source : JobTeaser 2023)