Entre tremplin professionnel et exploitation déguisée, les stages non rémunérés continuent de diviser. À l’heure où le coût de la vie estudiantine explose et où les débats sur la précarité des jeunes font rage, cette pratique a-t-elle encore sa place dans le monde du travail ? Enquête sur un dilemme qui touche des milliers d’étudiants chaque année. 

« J’ai travaillé 35 heures par semaine pendant six mois sans toucher un centime. » Maxime, 24 ans, diplômé d’une école de commerce, ne cache pas son amertume. Son stage dans une start-up parisienne lui a certes permis d’acquérir de l’expérience, mais au prix de difficultés financières considérables. Comme lui, chaque année, des milliers d’étudiants et jeunes diplômés s’interrogent : faut-il accepter de travailler gratuitement pour se faire une place dans le monde professionnel ? 

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La promesse d’une expérience « qui n’a pas de prix » 

« On m’a dit que ça ouvrirait des portes. » C’est par ces mots que Chloé, 23 ans, justifie les six mois qu’elle a passés dans une agence de communication parisienne, à travailler gratuitement. Comme elle, de nombreux étudiants acceptent encore aujourd’hui de sacrifier rémunération contre une ligne prestigieuse sur leur CV

Les arguments en faveur des stages non rémunérés ne manquent pas : acquisition de compétences pratiques, développement d’un réseau professionnel, ou encore mise en application des connaissances théoriques dans un contexte réel. Pour les structures qui les accueillent, notamment les plus petites ou les organisations à but non lucratif, c’est souvent une question de survie économique. 

« Notre association ne pourrait pas se permettre de payer des stagiaires tout en maintenant nos actions de terrain« , explique Mathieu, directeur d’une ONG environnementale. « Mais nous leur offrons un encadrement de qualité et des responsabilités qu’ils n’auraient pas ailleurs. » 

La réalité d’une précarité croissante

Si l’argument de l’expérience fait encore mouche, il se heurte à une réalité économique de plus en plus tendue pour les étudiants. Selon une étude, plus de 46% des étudiants travaillent parallèlement à leurs études pour subvenir à leurs besoins. Un stage non rémunéré devient alors un luxe inaccessible pour beaucoup. 

« J’ai dû refuser une opportunité dans une institution culturelle prestigieuse car je ne pouvais pas me permettre de travailler gratuitement pendant trois mois à Paris« , témoigne Lucas, étudiant en master de médiation culturelle à Lyon. Cette situation crée de fait une discrimination socio-économique qui renforce les inégalités d’accès aux carrières les plus convoitées. 

En outre, le cadre légal s’est considérablement durci. En France, tout stage supérieur à deux mois doit être rémunéré au minimum à 15% du plafond horaire de la sécurité sociale, soit environ 4,35 euros par heure de stage effectuée. Pourtant, les contournements existent encore. 

Le détournement d’une pratique formative 

« Les missions qu’on me confiait n’avaient rien de formateur« , raconte Emma, qui a effectué un stage non rémunéré dans une maison d’édition. « Je faisais le travail d’un salarié sans en avoir ni le statut ni la reconnaissance financière. » 

Ce glissement d’un dispositif pédagogique vers une forme d’emploi déguisé est dénoncé par de nombreux acteurs. Les syndicats étudiants pointent du doigt les entreprises qui abusent du système pour réduire leur masse salariale, tandis que certains secteurs comme la mode, les médias ou la culture se distinguent par une utilisation intensive de stagiaires non rémunérés. 

« Dans mon service, nous avons un roulement constant de stagiaires qui occupent un poste qui devrait être pourvu par un salarié« , confie anonymement une responsable RH d’un grand groupe de presse. « C’est devenu structurel. » 

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Vers de nouvelles alternatives 

Face à ces dérives, des initiatives émergent pour concilier formation et juste rémunération. Des plateformes de stages éthiques voient le jour, certains établissements interdisent à leurs étudiants d’accepter des stages non rémunérés, et des entreprises repensent leurs programmes d’intégration. 

« Nous avons mis en place un système de mentorat rémunéré« , explique Sophie, DRH d’une entreprise technologique. « Les étudiants travaillent à temps partiel, sont payés correctement, et bénéficient d’un véritable accompagnement professionnel. » 

D’autres alternatives existent : l’apprentissage, les stages en alternance, ou encore les projets tutorés réalisés dans le cadre universitaire permettent d’acquérir une expérience significative tout en conservant une rémunération décente. 

Un choix qui reste personnel 

Au final, la décision de réaliser un stage non rémunéré reste éminemment personnelle. Elle dépend de la situation financière de chacun, du potentiel d’apprentissage offert, et des perspectives réelles d’insertion professionnelle qui en découlent. 

« Je ne regrette pas mon choix« , affirme Chloé, qui a décroché un CDI suite à son stage. « Mais je comprends que tout le monde ne puisse pas se le permettre. » 

Pour les étudiants tentés par cette voie, quelques conseils s’imposent : bien évaluer le contenu pédagogique du stage, se renseigner sur la politique d’embauche post-stage de l’entreprise, et négocier des avantages non financiers comme le télétravail ou des horaires flexibles. 

À l’heure où le débat sur la précarité étudiante n’a jamais été aussi vif, la question des stages non rémunérés reflète les tensions d’un système d’insertion professionnelle en pleine mutation. Entre opportunité formatrice et risque d’exploitation, la frontière est parfois ténue, et c’est souvent aux étudiants eux-mêmes de la définir, au prix parfois de sacrifices financiers conséquents. 

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